On a souvent comparé le milieu progressif français à un panier de crabes. S'il faut voir là le résultat d'une marginalisation parvenue à un stade avancé, le projet Clones d'Eric Delaunay, qui fut à l'origine de cet album, témoignait dès sa conception (il y a quatre ans déjà) d'une amélioration, puisqu'il invitait trois formations (Tiemko, Minimum Vital et Halloween) à collaborer. A défaut d'autres initiatives permettant de développer les solidarités, cela paraissait un excellent moyen de reserrer les liens.
En définitive, sans doute pour gagner en souplesse mais aussi du fait de la dissolution de Tiemko, il fallut se rabattre sur trois musiciens seulement : Eric Delaunay bien sûr, Gilles Coppin (claviériste d'Halloween), et Jean-Pascal Boffo, Thierry Payssan ayant finalement déclaré forfait.
Pour résumer le principe, chacun des trois intervenants dut composer une ligne mélodique (un tant soit peu élaborée, mais non harmonisée) et la soumettre aux deux autres, ces derniers devant ensuite en proposer leur propre interprétation. Ce qui donne donc, si vous avez bien suivi, neuf morceaux. Un dixième, qui en aurait été la synthèse (selon le principe du «cadavre exquis» en vogue à l'époque des surréalistes) était même prévu, mais sans doute le décès d'Eric Delaunay (en juillet 1996) a-t-il rendu impossible sa réalisation.
Aujourd'hui rebaptisé DeBoCo (les clones ont mauvaise presse, ces derniers temps !), le fruit de cet échange revêt des allures de démonstration. Dès la première écoute, la qualité d'ensemble s'impose, rehaussant encore un peu la considération que l'on peut avoir pour la scène progressive française.
Bien entendu, le talent des trois hommes y est flagrant. Tous trois ont pris l'expérience très au sérieux, donnant le meilleur d'eux-mêmes, et témoignant d'une proximité de vue en ce qui concerne la plus haute idée qu'ils ont chacun de leur art. Mais par-delà leur réussite personnelle, c'est d'abord leur option musicale progressive qui est honorée de cet essai réussi, leur autorisant une infinité de voies possibles.
Ainsi, pas d'affolement : si le même thème est joué trois fois de suite, il ne sera pas seulement soumis à des différences d'exécution instrumentale. Le travail d'harmonisation et d'arrangement est si conséquent qu'on peut pratiquement parler de réécriture. L'album ne consacre d'aucune façon une sorte de primat de la forme sur le contenu. Bien au contraire, la diversité d'approches constatée n'empêche nullement les thèmes communs de préserver l'unité qui fait si souvent défaut aux compilations de groupes différents.
Il faut aussi signaler, à ce niveau, le rôle capital joué par Jean-Pascal Boffo. En soignant particulièrement l'aspect mélodique de sa composition, comme de ses deux interprétations, non seulement il rehausse l'importance du contenu, mais il procure aussi à l'album un équilibre salutaire. Eric Delaunay et Gilles Coppin œuvrent en effet davantage dans des dimensions atmosphériques, le premier jouant des oppositions (ton grave/dérision omniprésente, richesse harmonique/décalage dissonant, dureté des sons mécaniques/soudaine douceur instrumentale), le second préférant confiner son propos à l'ambiance la plus ténébreuse, les séquences les plus mouvementées comme les plus apaisées étant soumises à une même tension.
Ces deux musiciens prouvent, s'il en était besoin, l'importance de leur rôle dans leurs groupes respectifs, mais en même temps, on pourrait aussi les en supposer prisonniers. A l'inverse, Jean-Pascal Boffo semble avoir voulu démontrer l'étendue de sa liberté d'action, en usant des registres variés déjà observés sur ses différents albums.
A l'arrivée, l'apport de tous sera, de toute façon, apprécié dans la globalité de l'album. L'absence de synthèse demeure tout de même regrettable : en ce sens, donner une suite à DeBoCo serait non seulement une façon de pourvoir à cette lacune et d'envisager de nouvelles collaborations, mais aussi le plus bel hommage qu'on puisse rendre à Eric Delaunay.
Laurent MÉTAYER

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